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Les historiques : Yves-Marie Quemener, le photographe du «vertige à l'horizontal»

Yves-Marie Quemener fut le photographe immortalisant Patrick Renard à l’arrivée de la première édition des Templiers. Puis il sera le photographe officiel pendant un quart de siècle. Il revient dans cet entretien sur cette aventure comme bénévole, photographe et coureur des Templiers.

Tu as été le premier photographe du Festival des Templiers et le premier à évoluer dans l’univers du trail. Quels souvenirs gardes-tu de cette première édition ? Et des premiers Templiers.
1995. Sainte-Eulalie-de-Cernon. Cette couronne de lauriers qui a ensuite fait rêver des générations de coureurs. La victoire de Patrick Renard. Les gamins qui courent derrière un vainqueur rayonnant sur la ligne d’arrivée et une photo que j’ai toujours plaisir à revoir. Je me souviens des tenues athlé, des ceintures porte-bidons Chapak puis de ce célèbre sac à dos jaune endurance. Je me souviens de paysages fabuleux qui me rappelaient, d’une certaine façon, mes premières images sur Chamineige, ce raid multi-sports dans le Massif Central. Pour un photographe, un régal à 360, « Un vertige horizontal » comme on l’avait qualifié à l’époque. Je me souviens aussi qu’avec l’équipe de choc du magazine VO2 (Jean-Claude, Roland, Bruno, toi et d’autres), nous étions sur le terrain les jours d’avant l’épreuve avec la rubalise, le saucisson, le fromage puis les bombes fluo. Je me souviens aussi que les premiers Templiers étaient une affaire de famille, en profitant des vacances de la Toussaint. Nos balades sur le circuit le lendemain pour ramasser quelques déchets, la découverte de la gastronomie locale, les soirées du Grand Café à Nant…
1995, c’est aussi ma démission de l’Éducation Nationale pour signer mon premier CDI de photographe et le début d’une longue aventure professionnelle.
 
A l’époque, un photographe travaillait uniquement en argentique, le numérique n’arrivant qu’aux débuts des années 2000. Etait-ce un temps béni ? Une période regrettée ? Es-tu nostalgique de cette période ?
Pas de nostalgie en regardant les archives de l’époque. C’est le côté vintage qui m’amuse. Il ne fallait juste pas se tromper de sensibilité de films au départ sous peine de jongler avec des vitesses basses… Et puis, comme j’avais facilement carte blanche au magazine, j’ai continué à utiliser l’argentique pour des reportages en noir et blanc en cross-country ou sur des marathons et même des boitiers plastiques Lomo à 20€.
 
Aujourd’hui, on vit la photo à l’instant T avec une diffusion ultra rapide. Comment vivais-tu le fait de ne pas avoir de vision sur le travail effectué ?
On avait confiance dans nos petites connaissances techniques avec des « dias » qui ne pardonnaient pas trop d’erreur d’exposition. C’était toujours un grand moment et un plaisir d’étaler ses diapositives sur la table lumineuse dans la semaine qui suivait l’événement et de faire sa première sélection. Puis venait le temps du magazine avec le beau travail à la rédaction de Millau par Arnaud Sauveplane pour la maquette et enfin découvrir le magazine en kiosque. Quand il fallait passer aux films négatifs dans des conditions difficiles de lumière, ça laissait une marge d’erreur plus grande … Le numérique a accéléré évidemment la diffusion, la charge de travail à l’instant T et l’attente des lecteurs du web. Sûrement au détriment d’un temps de partage serein à la fin des épreuves, une fois les pellicules stockées en attente de partir au laboratoire le lundi… On avait plus de temps pour se retrouver au resto ou autour d’une bière…
 
Tu as bourlingué sur l’intégralité de tous les parcours des Templiers remaniés sans cesse pendant 25 ans, quel est le spot que tu as préféré ?
Question difficile ! Il y a aussi la mémoire qui joue des tours, non ? Et la météo aussi nous a joué des tours parfois d’une année sur l’autre… Je dirais les spots que j’ai préférés … Les couleurs d’automne, les grands vallonnements avec les rochers du Larzac qui permettaient de voir des files de coureurs au lever du jour, les passages dans les cités templières comme la Couvertoirade. La falaise de Cantobre ou les tunnels Sncf. Revens sous la neige, les cheminées de pierre au dessus de la Dourbie … Tout est beau là-bas !
 Aujourd’hui, on vit la photo à l’instant T avec une diffusion ultra rapide. Comment vivais-tu le fait de ne pas avoir de vision sur le travail effectué ?
On avait confiance dans nos petites connaissances techniques avec des « dias » qui ne pardonnaient pas trop d’erreur d’exposition. C’était toujours un grand moment et un plaisir d’étaler ses diapositives sur la table lumineuse dans la semaine qui suivait l’événement et de faire sa première sélection. Puis 
 
En 1998, tu as réalisé un reportage en inside. Peux-tu raconter la genèse de ce reportage et les souvenirs qu’il en reste ?
Oui je me souviens bien de cette édition Inside … Je ne me souviens pas de l’année… Un petit Konica, du film noir et blanc et un boîtier de secours dans le sac à dos. Je pars une grosse heure avant tout le monde à petites foulées dans la nuit de Nant par la petite route départementale en lacets. Dans l’idée d’avoir un peu la tête de course au lever du jour. Arrivé sur le plateau, un brouillard de dingue. Je progressais seul difficilement de buisson en buisson. J’ai perdu beaucoup de mon avance. Là, j’ai compris le surbalisage que toi Gilles, tu préconisais alors qu’intérieurement, je me disais qu’on mettait peut-être un peu trop de plastique sur les branches ! Je me souviens du super accueil des bénévoles dans les ravitos, l’œil amusé des coureurs et leurs encouragements. Je me souviens aussi des derniers kilomètres avec la queue du peloton où je n’avais plus envie de m’écarter de quelques centaines de mètres pour faire « The Photo ». Au bout du rouleau le gars et content d’arriver !
J’ai réitéré ce reportage au marathon de New-York. Et si je peux donner un conseil aux jeunes photographes, c’est vraiment le meilleur moyen de bosser là-bas. On avait fait un reportage incroyable tous les deux. Toi, Gilles à photographier le même ravitaillement à Harlem, de sa préparation au lever du jour au dernier coup de balai après les derniers coureurs et moi, coureur avec mon dossard au milieu des coureurs, des policiers en charge de la sécu et des bénévoles. C’est ce qui faisait la force et la qualité du magazine VO2 de l’époque … On osait des choses !
 
Aujourd’hui, de nombreux photographes se sont spécialisés dans le trail comme autrefois des photographes évoluaient uniquement en athlé et marathon. Quel regard portes-tu sur la photo de trail actuelle telle qu’elle est réalisée et retouchée ?
Je me souviens à notre époque d’une certaine forme de retouche… de l’usage des filtres dégradés de la marque Cokin pour assombrir un ciel. Ou du travail de Robert Wabble, laborantin spécialisé en NB qui nous préparait de beaux tirages avant le départ pour les rotatives. Aujourd’hui Lightroom et d’autres logiciels le font à merveille. Parfois trop à mon goût… C’est toujours une question de nuances et de curseurs poussés à fond ou pas. Ce qui m’a nourri, ce ne sont pas mes connaissances techniques limités, ni mon amour très modéré pour l’usage des ordinateurs et logiciels. Mais plutôt une certaine forme de culture photo. Regarder ce que font les autres photojournalistes, se nourrir de livres, de musées et d’exposition. Il ne faut pas penser que la retouche transforme une photo faible en œuvre d’art … On a aussi l’apparition de lumières additionnels déclenchées par ondes radio dans le champ de la photo de Trail. C’est un exercice d’équilibriste que les nouveaux photographes maîtrisent à merveille! La vraie question est que le numérique a tellement facilité l’image qu’aujourd’hui amateurs avertis et professionnels se mélangent et qu’il est de plus en plus difficile à un pro de vivre de ses photos.
 
L’an passé tu as recouru les Templiers avec ta fille qui, elle, a connu les Templiers toute gamine. Comment as-tu vécu cette aventure père – fille ?
Oui, Juliette est née en 1990. A cinq ans, elle était à Sainte-Eulalie-de-Cernon pour la première édition. Beaucoup d’émotion encore à cette évocation. Cette journée et je dirais même cette année restent inoubliables. Un petit moment à soi, Père Fille, que je souhaite à tous les parents sportifs. Quand elle a compris en ouvrant l’enveloppe sous le sapin de Noël, qu’un dossard l’attendait à Millau, la première réaction a été de me dire entre deux sanglots : « Tu viens avec moi hein ! Tu ne me laisses pas toute seule … » Le départ tant attendu. La musique d’Era qui nous serre la gorge. Départ très cool accompagné quelques kilomètres par Olivier Drecq en charge des inscriptions chez Njuko, un fidèle aussi des Templiers. A St André de Vézines, je tombe dans les bras de Patrick Renard, le premier vainqueur de l’édition, en anonyme spectateur qui prodiguait ses encouragements à tous les coureurs. A partir de la descente sur la Roque Ste Marguerite, Juliette a énormément souffert du genou sur toute la deuxième partie. Ses larmes dans la longue descente vers Massebiau. Les encouragements chaleureux de Pascal Moreau qui nous rattrape à ce moment-là. Une douleur supportée jusqu’à la ligne où nous attendait Léon (mon petit fils) et le reste de la famille. Son frère Tanguy emboîte le pas et on sera sur la Boffi Fifty pour fêter la 30ème !
 
Si tu avais une seule photo des Templiers que tu as réalisée à choisir quelle serait-elle ? Et peux-tu en raconter l’histoire ?
J’oserais parler de trois photos ! D’abord, ma première photo publiée dans VO2 Mag d’un championnat du monde de cross à Aix-les-Bains. Et évidemment celle de Patrick Renard en 1995 et celle de Patrick Lothodé, le visage en sang à l’arrivée de Nant sous les yeux de son fils Théo. Elle raconte le début d’une belle aventure professionnelle. C’était le démarrage d’une longue série de reportages aux quatre coins du monde, de rencontres humaines fortes. A quelques mois de la retraite, j’ai envie de remercier ici tous les gens qui ont été sur mon chemin de photographe, coureuses, coureurs, journalistes, amis. Ils se reconnaîtront.