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ENQUETE : Les ANTI-INFLAMMATOIRES, un fléau dans le trail et l’utra trail

Pierre Sallet, militant de l’anti-dopage, est également un fin connaisseur du trail et de l’ultra trail, à travers son implication au sein du programme Quartz, longtemps déployé sur les épreuves majeures de trail en France et à l’étranger.

Le Lyonnais ne dissimule pas son inquiétude face à l’utilisation massive et dangereuse des anti-inflammatoires dans les pelotons. Entretien. 

Quels sont les éléments qui permettent d’avoir la certitude que l’usage des anti- inflammatoires (corticoïdes, AINS…) est répandu parmi les trailers et ultra trailers ?
 Pierre Sallet : Leur usage est extrêmement répandu d’une manière générale en sport et le trail-running n’échappe pas à la règle. Les éléments attestant de l’usage massif des médicaments anti-inflammatoires en sport sont extrêmement nombreux que ce soit au travers de publications scientifiques externes ou encore de nos propres travaux plus spécifiques au trail-running pendant 15 ans avec un taux d’usage entre 50 et 80% chez les élites (travaux non publiés) qu’il serait possible de « réduire » à 13% avec l’appui d’une politique de santé interdisant leur usage (Mashal et al., 2021). 

Selon tes observations et informations, l’usage des anti-inflammatoires (corticoïdes, AINS…) est-il répandu parmi les trailers et ultra trailers ?
P.S. : Leur usage est extrêmement répandu d’une manière générale en sport et le trail-running n’échappe pas à la règle. Il existe toutefois une distinction à apporter entre les glucocorticoïdes inscrits sur la liste des interdictions de l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) et spécifiquement interdits en période de compétition des autres anti-inflammatoires comme par exemple les AINS (Anti-Inflammatoires Non Stéroïdiens) qui, eux, demeurent officiellement autorisés. 
Ces AINS devraient être également interdits en compétition mais après deux décennies, ce n’est toujours pas le cas… C’est pour nous un non-sens complet, comme pour une quarantaine de substances dont le Tramadol, un anti-douleur, qui fera enfin son apparition sur la liste AMA 2024.

 L’utilisation médicale d’anti-inflammatoires est-elle bien encadrée ? 
P.S. : Nos observations indiquent que nous sommes dans une pratique d’automédication facilitée par le fait qu’une très grande majorité des AINS sont en vente libre au niveau mondial. 
Autrement dit, nous sommes clairement dans le cas d’athlètes avec des médicaments dans leur sac ou dilués dans des bidons. Ils vont utiliser ces médicaments avant tout pour performer que ce soit pour finir une course pour des amateurs ou jouer un classement pour les élites. Mais bien sûr, c’est l’omerta qui règne en niant ces prises ou prétextant des contaminations et en clamant l’absence d’effets sur la performance et leur non inscription sur la liste des interdictions de l’AMA.

Les anti-inflammatoires peuvent-ils avoir un impact bénéfique sur la performance d’un trailer ou ultra trailer ? 
P.S. : Le trail-running répète malheureusement le schéma d’une très grande majorité de sports pour le haut-niveau à savoir :
– Le « doping » au sens de la liste AMA : il concerne environ 10% des athlètes en sachant que toutes les substances ou méthodes ne sont pas détectables et bien sûr les sportifs ne sont pas tous testés. Des publications scientifiques notamment sur les profils anormaux au niveau du Passeport Biologique font état de chiffres proches de 20%.
– Le « legal doping » : c’est l’usage de substances (ex : les AINS, certains stimulants…etc.) ou méthodes (ex : perfusion de fer ou de glucose <100ml…etc.) qui devraient être inscrites sur la liste des interdictions de l’AMA mais ne le sont pas. 
Le « legal doping » consiste aussi au détournement très simple des AUT (Autorisations d’Usage à des fins Thérapeutiques) en simulant une pathologie, par exemple une tendinopathie, pour utiliser des substances inscrites sur la liste des interdictions de l’AMA comme les glucocorticoïdes. Le « legal doping » concerne ainsi entre 50 et 80% des athlètes. Il reste donc une minorité d’athlètes, entre 10 et 40%, constituant le panel des « clean athletes », subissant économiquement et socialement de plein fouet cette injustice.

Quels sont les risques à utiliser des anti-inflammatoires tout en participant à des compétitions sportives ? 
P.S. : C’est tout simplement suicidaire pour vos reins, voire pour votre vie ! Nous avons participé à un important documentaire diffusé en 2023, pour un média TV. Les histoires autour de portraits d’athlètes ayant frôlé la mort en raison de l’usage d’AINS et pour certains conservant de graves séquelles font froid dans le dos. Tant que cela ne vous arrive pas, les athlètes malheureusement ne se sentent pas concernés…

Quelle est la position de l’Association « Athletes For Transparency » sur l’utilisation des anti-inflammatoires pour un sportif, à l’entraînement et en compétition ? 
P.S. : Notre philosophie reste du bon sens et consiste à dire « si tu es malade tu te soignes et tu ne participes pas à la compétition ». Mais cela demeure logiquement très critiquée pour des raisons évidentes. Les athlètes dopés voient d’un très mauvais oeil le fait qu’on puisse venir mettre le nez dans leurs affaires et vont nous critiquer. 
Les très nombreux athlètes pratiquant le « legal doping » et qui donc règlementairement ne commettent pas d’infraction aux règles antidopage, demandent à ce qu’on se concentre sur les athlètes dopés en minimisant leur propre attitude et nous critiqueront eux-aussi. 
Les organisateurs pour qui la mise en place d’une politique de santé représente un investissement financier et le risque de conflit avec les athlètes élites pour les raisons évoquées juste avant, vont donc fermer les yeux sur ces difficultés. Tout ceci ne nous empêche pas de conserver de très nombreux et forts soutiens et de continuer à oeuvrer pour préserver la santé de tous les athlètes.